Fatma Sid Ahmed Ou Méziane est née autour de 1830 à Ouerdja, un village en Haute Kabylie, une région montagneuse du Nord-ouest de l’Algérie. On sait peu de choses sur la jeunesse de notre femme rebelle du moins. On dit que ses parents furent le cheikh Ali Ben Aissi et Lalla Khlidja. Son père, issu de la lignée religieuse des Aït-Sidi Ahmed, aurait tenu une école coranique.
La légende raconte que, quand ses parents voulurent la marier, elle refusa. Ses parents la déclarèrent possédée et l’enfermèrent dans un réduit pour la guérir. De cette épreuve, Fatma sortit enhardie : Dieu lui aurait révélé la foi et l’aurait encouragée à rester célibataire. Ses parents ne voulurent rien entendre et la marièrent de force à un cousin. Mais comme Fatma s’entêtait à refuser toute relation sexuelle, elle fut bientôt répudiée. La communauté villageoise exclut toute la famille, et Fatma fut considérée comme folle. Elle demanda à son frère qui était cheikh dans le village de Soumer, de l’accueillir. Celui-ci tenait également une école coranique, et ici, elle put apprendre le Coran et l’astrologie. A la mort de son père, elle enseigna aux côtés de son frère à l’école et s’occupa des pauvres. Elle prit le nom de Fatma N’Soumer.
Il est probable que ce type de légendes sur sa vie soient censées souligner sa vertu et son esprit rebelle, pour donner de la crédibilité à son engagement politique. Mais la vie de Fatma N’Soumer contient assez de courage et de rébellion, même sans enjolivements. Car son rôle central dans la résistance kabyle contre les Français, à partir de 1847, est vérifiable historiquement. La guerre de colonisation en Algérie fut l’une des plus sanglantes en Afrique. Entre 1830 et 1872, près d’un tiers de la population algérienne disparut dans des combats, mais aussi dans des razzias et des massacres de la population civile ou à cause de la faim qui suivit la destruction des cultures. Car si la France cherchait des terres où installer ses colons, la population locale ne lui semblait guère utile. L’Armée d’Afrique s’empara rapidement de la côte algérienne, et le dey d’Alger capitula. Mais la France se heurta par la suite à la résistance des tribus berbères d’un côté et des troupes de l’émir Abd el-Kader de l’autre. Quand ce dernier rendit les armes en 1847, il ne restait plus que la résistance kabyle à surmonter.
Mais celle-ci fut tenace. Les Français durent arracher aux Kabyles village par village, champ par champ. Et Fatma N’Soumer joua un rôle crucial dans cette résistance. Elle eut des visions qui l’encouragèrent à rallier les guerriers de la région, puis se joignit aux chérifs qui livraient combat aux troupes françaises. Ses origines et sa dévotion lui conférèrent l’admiration et le respect des combattants. On lui donna même le surnom de Lalla, réservé à des femmes de rang et d’âge élevés, voire à des saintes. Les contemporains la décrivaient comme une beauté enveloppée aux grands yeux noirs, avec des tatouages traditionnels sur le visage et les bras. Les Français l’appelèrent la « Jeanne d’Arc de Djurdjura ».
Fatma N’Soumer organisa la résistance, collecta des financements et de la nourriture pour ses hommes et femmes, mais on dit que, contrairement à bon nombre de femmes kabyles, elle ne mania jamais d’armes elle-même. Elle fut au centre des efforts de propagande (un des adages des guerriers kabyles est : « Les balles sont devant nous et Fatma est derrière nous. ») et de la stratégie militaire. Même des assemblées thajmaâth, strictement réservées aux hommes, lui furent ouvertes. Entre autres, elle dirigea les imsemblen, des guerriers qui sacrifièrent leur vie dans des attaques « kamikaze ». En 1854, le chef des troupes kabyles, Chérif Boubaghla (qui aurait auparavant demandé, sans succès, sa main), mourut en combat. Fatma N’Soumer rallia et mena alors ses troupes et les Kabyles emportèrent la victoire de la bataille de Tachkirt, contre un ennemi largement supérieur en nombre et en moyens.
Les Français, sous les ordres du général Randon, demandèrent alors un cessez-le-feu, que Fatma N’Soumer accepta. Les Kabyles avaient en effet besoin de s’occuper de leurs cultures, se ravitailler en armes et se réorganiser. Mais cette période calme servit aussi aux Français qui revinrent à la charge par surprise en 1857. Lalla Fatma N’Soumer rallia les résistant/e/s une dernière fois, les appelant à lutter jusqu’au bout, car c’était la liberté de tout le pays qui était en jeu. 35 000 soldats de l’Armée d’Afrique écrasèrent les résistant/e/s. Fatma N’Soumer se réfugia dans la région de Tablat, où elle fut arrêtée le 27 juillet 1857. Son emprisonnement signifia la fin de toute résistance organisée dans la région, même si des soulèvements kabyles continuèrent jusque dans les années 1870. Sa bibliothèque fut détruite, les Français s’accaparèrent son patrimoine. Elle fut assignée à résidence surveillée à Beni Slimane où elle passa les dernières six années de la vie. Affaiblie par son long emprisonnement et touchée profondément par la mort de son frère en 1861, elle mourut en 1863.
Lalla Fatma N’Soumer fut dans son temps le symbole de la résistance algérienne contre le colonisateur français, la personnification même de la lutte. Des légendes et des chansons traditionnelles racontent ses exploits. Sa mémoire était nécessaire pour conserver l’identité culturelle amazight pendant l’occupation française, car les opprimés se construisent et se défendent par l’imaginaire. Il n’est donc pas étonnant que tant de récits de ses miracles nous soient parvenus. Fatma N’Soumer est célébrée aujourd’hui par des monuments et par des séries télé. Un bateau de la marine marchande algérienne, des écoles et une organisation féministe (Bnet Fatma N’Soumer) portent son nom. Ses cendres ont été récupérées en 1994 pour être inhumées au Square des Martyrs du cimetière El Alia à Alger.
Écrit par Farid Houali
Pour en savoir plus :
♦ Fadhma N’Soumer, film de Belkacem Hadjadj, 2014 (bande d’annonce).
♦ Tahar Oussedik, « Lalla Fadhma n’Summer », Ed. Laphomic, Alger, 1983
Extraits du film ‘Fadhma N’Soumer’