La pandémie, une aubaine?

La pandémie de Covid-19 a provoqué un bouleversement sans précédent de l’économie mondiale et, dans le domaine de l’énergie, elle a davantage perturbé ce secteur que tout autre événement historique récent. Même si les chiffres de statistiques officielles ne seraient connus que dans les mois à venir, certains experts dont ceux de l’agence internationale de l’énergie (AIE) pensent que, pour 2020, la demande mondiale d’énergie devrait chuter de l’ordre de 5 %, avec des impacts différents selon les sources. Il est attendu que les baisses les plus substantielles vont vraisemblablement toucher le pétrole et de charbon, ce qui n’est pas de mauvais augure car ce sont ces deux sources qui sont à l’origine de l’essentiel de la pollution dans le monde.

Scénario 2 °C

Il faut savoir qu’il y a plusieurs scénarios climatiques, en lien avec les différents scénarios énergétiques. À la suite de la sortie de l’avant-dernier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’AIE a élaboré en 2008 un scénario qui limite à 2 °C l’augmentation de la température sur la planète à la fin du présent siècle, connu sous le nom de scénario 450 ppm. Ce scénario stipule que pour limiter l’augmentation de la température à 2 °C, la concentration des émissions de molécules de gaz à effet de serre GES ne devrait pas dépasser 450 parties par million (450 ppm). Pour rencontrer cet objectif, les émissions de GES exprimées en équivalent dioxyde de carbone CO2, devraient plafonner à 32 Gt (milliards de tonnes) en 2020 et baisser de 40 % vers 2030. Même si ce scénario 450 ppm a subi quelques modifications avec le temps avant d’être retiré par l’AIE qui l’a remplacé par le scénario développement durable, le moins que l’on puisse dire est que ces émissions ont continuellement augmenté ces deux dernières décennies, pour s’établir à plus de 34 Gt en 2019, soit nettement au-dessus du plafond maximal prévu. En 2020, grâce au Covid-19, les émissions de GES vont baisser substantiellement, probablement de plus de 2 Gt, ce qui veut dire que la pandémie Covid-19 a remis la planète sur la trajectoire 2 °C, une aubaine qui devrait inciter à davantage de réflexion sur l’avenir climatique et, par conséquent, l’avenir énergétique.

Neutralité carbone

Pour faire face aux changements climatiques causés principalement par la consommation d’énergie, la vision d’un nouveau monde à zéro émission nette à l’horizon 2050 fait de plus en plus consensus au sein des sociétés développées, Canada y compris. C’est évidemment vertueux et personne ne peut être contre la bonne vertu. Dans le même temps, cet ambitieux objectif de long terme doit être accompagné par des objectifs de moyen et court terme tout aussi… ambitieux. Ce n’est un secret pour personne qu’avec la fin de la pandémie, la croissance de la demande d’énergie sera inéluctable et, à moins de changement de paradigme, les émissions de GES repartiront à la hausse. À cet effet, l’électricité qui est à l’origine de +40 % de la pollution mondiale, constitue le vrai test. Cette électricité est aujourd’hui produite pour 60 % à partir de sources fossiles (charbon et gaz) et le challenge est qu’elle le soit dans la même proportion à partir de sources bas carbone (hydraulique, éolien, solaire, nucléaire) dès le début de la prochaine décennie. Aussi, à la même échéance, il faudrait que la moitié des véhicules vendus à travers le monde aux particuliers soient électriques, contre à peine 2.5 % aujourd’hui. Dans le domaine de l’efficacité énergétique, l’amélioration annuelle doit être doublée à 2.4 % par an, contre une moyenne annuelle de 1.2 % au cours de ces 50 dernières années. L’efficacité énergétique est souvent considérée comme le « 1er carburant » de service dans l’avenir énergétique à faible teneur en carbone.

Raisons d’espérer

La production d’électricité d’origine renouvelable connaît une croissance particulièrement élevée, surtout ces deux dernières décennies. Même si l’hydroélectricité reste encore la 1ère source d’origine renouvelable, elle sera bientôt dépassée par l’éolien et, surtout, le solaire, qui connaissent une croissance exponentielle. De nos jours, grâce aux immenses réductions des coûts au cours de cette dernière décennie, le solaire photovoltaïques (PV) est moins cher que les nouvelles centrales au charbon ou au gaz, de sorte que l’électricité solaire est désormais produite à des coûts compétitifs. D’ailleurs, les experts s’accordent pour dire que le solaire sera la 1ère source d’énergie au milieu du présent siècle et le vrai défi est de devancer cette échéance d’une décennie. Pour ce qui est de la voiture électrique, son coût ne cesse de baisser de sorte qu’il est désormais établi qu’elle sera compétitive dans les 3 à 5 années à venir, alors que son autonomie ne cesse d’augmenter. Par ailleurs, il est établi que pour peu qu’il y ait une volonté politique, le doublement de l’impact des mesures d’efficacité énergétique, de 1.2 % à 2.4 % par année, peut être obtenu par des actions basées sur des technologies aujourd’hui connues mais plus coûteuses et non sur la base d’une quelconque rupture technologique à venir.

Conclusions

Il se dessine que le Covid-19 va marquer la fin d’une ère, celle de la croissance de l’usage du charbon pour produire l’électricité. On peut espérer que cela augure par la même occasion une nouvelle ère, celle de la décarbonisation massive non seulement de la production d’électricité mais de tout le secteur énergétique. L’atteinte de zéro émission nette à l’horizon 2050 requiert l’intensification des mesures d’efficacité énergétique et le déploiement, dès maintenant, de technologies plus que prometteuses mais aux coûts encore élevés, dont l’hydrogène vert et la capture & séquestration du carbone.

L’enjeu climatique est sans doute le plus grand défi du siècle auquel l’humanité est confrontée, surtout que les scientifiques sont particulièrement inquiets par la rapidité avec laquelle les changements climatiques se produisent ces derniers temps, de sorte que la marge de manœuvre face à l’urgence d’agir rétrécit année après année. Un des enseignements majeurs tirés de la Covid-19 est le rôle déterminant que peuvent jouer les politiques gouvernementales. Dans le domaine de l’énergie, il devient urgent d’accélérer le déploiement de toutes les technologies bas carbone, requises mais dispendieuses et dont, ultimement, les citoyens auront à assumer le fardeau financier, tout comme ils l’ont fait pour les coûts du Covid-19. C’est juste une question de survie et, dans les deux cas, il me semble qu’il n’y pas d’autre alternative.

M. Benhaddadi, C.Q., Ph D

Published On: juin 29th, 2021 /