Un an que la larme s’est arrêtée pour laisser place à la découverte d’un monument que les montagnes de sa Kabylie se refusent de porter à elles seules, le poids d’un héritage lourd de richesses, s’étalant sur un des plus grands territoires, regroupant plusieurs pays d’une même culture. Le message a été intercepté, sans surprise, d’abord par les siens, mais aussi par le reste de la planète que l’on pensait lointaine, jadis, mais combien proche au timbre de sa voix. Parti d’une simple mélodie, aujourd’hui, devenue référentielle, Ben Mohammed, collaborateur et visionnaire, parlait déjà d’un futur en réponse au message décodé que Jugurtha a livré sachant que le jour viendra…il est.

La fouille est à ses débuts et il ne se passe pas une journée sans qu’une nouvelle révélation ne fasse surface des trésors enfouis. S’il est vrai que la musique et la voix constituent à premier abord l’émergence d’une nouvelle idole, sa prédilection se transforme rapidement en courroie de transmission d’un passé pour l’avenir, et enfin l’expression d’un peuple pour le rendez-vous de son Histoire qui permettra le soubresaut de sa destinée.

Loin d’imaginer que la géologie à laquelle il est voué le dirigera vers une branche plus large, celle de la reconquête par l’ethnologie de ce grand espace perdu autrefois, au détriment d’une convoitise vorace et multiplicatrice. Les années consacrées à ouvrir les portes du secret malicieusement gardées par les maîtres accrédités à l’anéantissement de toutes traces qui rappelleraient l’authenticité du passé, n’ont aucunement dissuadé ce chercheur aux mille tours, à la rencontre d’indices qui mettent en relief la conjugaison de sa voix, au service d’instruments, de mélodies, aux vocables spécifiques.

Entendre Idir chanter ou expliquer ses textes est envoûtant au regard de l’enthousiasme de la salle, car, dès les premières notes, il forme un duo avec son public, et ce, pendant toute la durée du spectacle. Chaque morceau de musique doit son explication pour cet amoureux du verbe. L’attention est omniprésente. La douceur qui caractérise ce monument de la création artistique, teintée de la sauvegarde de notre patrimoine commun, Tamazight en général, le Kabyle en particulier, est le fruit d’un engagement inconditionnel qu’il défend avec véhémence. Aucune négociation ne peut le dévier de sa trajectoire qui se traduit par la reconnaissance internationale des valeurs qui lui rappellent constamment le don de vie de sa fratrie, à des moments particuliers de son Histoire, la nôtre. Tous les moyens pèsent à prendre à témoin la civilisation du Nord sur la dérive qui se trame autour d’un voisinage farouche à toutes différences aussi infimes soient-elles. Ses appels ne cessent d’éveiller la conscience de notre effectif installé dans ce vaste espace.

Entre la Kabylie, les Aurès, Tanger, Tunis…la voix est concordante et l’écho tant souhaité est incontestable et convaincant. Il est à l’affût et à l’écoute de la moindre note qui enrichit le répertoire du renouveau. Toutes les âmes sont sollicitées pour relever le défi contre une disparition programmée. Les traces de l’œuvre de cet humble troubadour se retrouvent partout aux quatre coins du Monde. Il a su faire adhérer d’autres cultures à la sienne et inversement. La ruée vers la traduction qui facilite son installation sur le trône de la notoriété se multiplie pour atteindre des villes aussi reculées et loin de sa Kabylie natale. L’engouement est facilité par la diaspora de tout acabit à l’élever au rang prestigieux qu’il incarne aujourd’hui. Son intégration à Radio-France-Internationale dans les années soixante-dix avec la chanson ” Avava inouva ” est le fruit d’un travail acharné de la communauté kabyle de Paris.
Cette mélodie s’est hissée miraculeusement en première place dans le classement aux hit-parades de Gibert Jeunes en France, et ce, devant tous les grands noms de renommée internationale. Bob Dylan, les Rolling Stones, Ravi Shankar…attendaient avec impatience leur tour qui ne viendra que quelques mois après. Depuis, les succès s’enchaînent, mais il reste conscient que l’attachement aux premières valeurs emportées dans la première valise du souvenir est l’élément primordial et incontournable qui lui a permis de rayonner au travers de ses aventures. Sa Kabylie des montagnes redevient à nouveau le point culminant de ressourcement pour encore atteindre d’autres horizons. À cet effet, il est fort à parier que les chercheurs de différentes sphères sociales de nos universités ouvriront des chapitres pour éclairer davantage ce phénomène qui permet ces retours référentiels et quasi uniques à cette région qui ne laisse nulle âme indifférente au moindre passage. Ce lien indéfectible que Idir entretient avec ses racines se ressent dans le besoin de le crier plus loin et plus fort encore pour se délivrer d’un legs bénéfique à l’humanité tout entière. Il aura contribué à sauver une des plus vieilles cultures comme le suggèrent les spécialistes en la matière. Accompagné de l’amour et de la reconnaissance des rescapés que nous sommes, il convaincra les grands maîtres de la chanson de la langue de Molière à s’égosiller en Kabyle. Pari réussi, Forestier et Aznavour entre autres, se sont livrés à la langue de Boulifa, une manière de rappeler à l’ordre, la mauvaise volonté de nos voisins. L’âge ne devrait être la raison, car, de ses quatre-vingt-huit ans d’alors, Aznavourian se retournerait furieusement dans sa tombe.

Lors de son premier passage à Montréal, certains journalistes ont été étonnamment marqués par le professionnalisme et la stature de Idir. Je me souviens de Yves, œuvrant à Radio Centre Ville, que j’avais rencontré le lendemain de son interview avec Idir, qui dit, dans ses mots : “De toutes ma carrière de journaliste pour la musique, je n’avais été aussi ému devant une telle stature, il répondait à mes questions sans que je ne les pose, et pourtant j’ai fait le tour du Monde dans mes rencontres avec des grosses pointures de la musique, mais le moment vécu avec Idir, jamais”. Trop jeune pour partir, nous le regrettons! assez, dira l’Histoire, l’accomplissement est millénaire!

Achour Berkaine,
Montréal, 2 Mai 2021.

Témoignage : Pr. Jane E Goodman, anthropologue à Indiana University (USA) parle de IDIR et de VAVA INOUVA

Published On: mai 2nd, 2021 /