«L’histoire saura rendre hommage au courage et à l’incroyable abnégation de ces algériens face à la mort. Ces journalistes, ces femmes, ces enfants, ces artistes, ces écrivains sont l’honneur de l’Algérie. Ils sont la conscience demain retrouvée de notre pays. Grâce à vous, grâce à ce prix, le combat des algériens pour la liberté d’expression, contre l’intégrisme, bénéficie une fois de plus de la nécessaire reconnaissance internationale».
Déclarera Lounès Matoub lors de la remise du Prix de la liberté d’expression décerné le 22 mars 1995 par le S.C.I.J. (Canada).
Lounès Matoub est de tous les artistes kabyles, le plus connu en Kabylie comme dans le monde entier en raison de son engagement, comme de sa musique qui s’appuie sur l’usage d’instruments traditionnels comme le mandole et reprend les thèmes les plus envoûtants du folklore kabyle. Militant de la cause identitaire Amazigh en Algérie, il a apporté sa contribution dans la revendication et la popularisation de la culture amazigh et du combat pour la démocratie ainsi que pour la laïcité en Algérie à travers sa musique. Il est reconnu comme une grande figure de la chanson kabyle sur tout le territoire Amazigh. Même après son lâche assassinat, Il demeure un symbole de la Kabylie.
Depuis la sortie de son premier album «A Yizem anda tellid ?» ( Ô lion où es-tu ?) Lounès Matoub célèbre les combattants de l’indépendance et fustige les dirigeants de l’Algérie auxquels il reproche d’avoir usurpé le pouvoir et de brider la liberté d’expression. Chef de file du combat pour la reconnaissance de la langue berbère, Lounès Matoub est grièvement blessé par un gendarme en octobre 1988. Il raconte sa longue convalescence dans l’album «L’Ironie du sort» en 1989. Opposé au terrorisme islamiste, Lounès Matoub condamne l’assassinat d’intellectuels. Il fut enlevé le 25 septembre 1994 par un groupe armé, puis libéré au terme d’une forte mobilisation de l’opinion kabyle qui déclare prête à brûler le pays s’il lui arrive malheur.
La même année, il publie un ouvrage autobiographique «Rebelle», et reçoit le «Prix de la Mémoire» des mains de Danielle Mitterrand, Première Dame de France. En 1995, il participe à la «marche des rameaux» en Italie pour l’abolition de la peine de mort, alors qu’en mars 1995, le Ski Club international des journalistes au Canada lui remet le «Prix de la liberté d’expression». Le 25 juin 1998, il est assassiné sur la route menant de Tizi Ouzou à Ath Douala, au lieu-dit Thala Bounane dans la commune de Beni Aïssi, à quelques kilomètres de son village natal. Pour rendre un dernier hommage au combattant farouche de la démocratie et de la culture berbère, à l’occasion de ses funérailles qui se déroulent aux cris de «pouvoir assassin», les militants exigent vérité et justice. Or, les conditions de ce meurtre n’ont jamais été élucidées.
Les funérailles du chanteur drainèrent des centaines de milliers de personnes et la Kabylie a connu plusieurs semaines d’émeutes et de deuil. Son dernier album «Lettre ouverte aux…», paru quelques semaines après son assassinat, contient une parodie de l’hymne national algérien dans laquelle il dénonce le pouvoir en place. À l’époque, les coupables sont clairement désignés, comme l’écrit le magazine Français Paris Match dans son numéro 2563 : «Le Groupe Islamique Armé». Mais déjà, le même magazine évoqua une autre thèse : «Le chanteur rebelle serait la victime d’un complot ourdi entre les deux factions soi-disant ennemies, les militaires et les terroristes. Au moment où, pour tenter de s’attirer les faveurs des “fous de Dieu”, le gouvernement Zeroual vient de décréter l’arabisation », qui condamne l’usage du français, mais également du tamazight, la langue kabyle, Lounès Matoub était devenu un symbole trop encombrant»*.
La revendication, le 2 juillet, de «l’opération contre l’ennemi de Dieu, le dénommé Matoub Lounès» par un groupe dissident du GIA n’étonne personne, mais certains l’accueillent avec prudence, alors que des témoignages évoquent déjà l’attitude curieuse d’une poignée de gendarmes dans les jours et les heures précédant l’embuscade. En 2000, dans un documentaire diffusé par Canal +, la sœur et l’épouse de Matoub accusent le pouvoir de «leur avoir imposé la version impliquant le GIA». L’enquête bâclée (la voiture n’a jamais été placée sous scellés…) finira par condamner, 13 ans après les faits, deux hommes dont on a extirpé des aveux sous la torture.
Les commanditaires n’ont jamais été désignés.
La famille de Lounès Matoub, elle, demande, encore et toujours, la réouverture du dossier. «Il me disait: Je ne peux pas rester en France indéfiniment. J’ai besoin de retourner chez moi. Ce ne sont pas ces types qui vont m’en empêcher. Ils ne gagneront pas (…) Confiant, il parlait de sa « tamurt”, sa patrie, celle des Imazighen, les Hommes libres en langue berbère. Là-haut, dans les montagnes de Grande Kabylie, où les femmes ne portent pas le voile, le chanteur se sentait en sécurité au milieu de son peuple, des maquisards-nés qui, des Romains aux Français en passant par les Arabes et les Turcs, n’ont jamais courbé l’échiné devant les conquérants», témoigne Patrick Forestier. «Avant d’être un artiste, il était un militant qui mettait son talent et ses convictions au service d’une cause : la reconnaissance de la culture berbère, vieille de plus de deux mille ans, antérieure aux Arabes et au Coran», poursuit Forestier grand Repporter à Paris Match et réalisateur de documentaires.
Né le 24 janvier 1956 au sein d’une famille modeste, dans la région d’Aït Douala dans la Kabylie montagneuse, à une vingtaine de kilomètres de Tizi Ouzou. Le petit Lounès est contraint de vivre loin de son père parti en exil. Il deviendra ainsi le «petit homme» du foyer, aux côtés de sa mère et grand-mère qui occupaient ensemble leur maison à Taourirt Moussa, son village natal.
Après la naissance de sa sœur Malika en 1963, il garda toujours son statut de «l’homme de la maison», il demeurait, alors, gâté en dépit des carences multidimensionnelles dues à la misérable situation où sombrait l’Algérie colonisée. Pour se consoler de l’absence de son père, Lounès nourrit un puissant attachement à sa mère qu’il considérait «merveilleuse».
En effet, c’était elle qui veillait aux besoins de la maison en l’absence de son mari. En ces moments rudes, la mère de Lounès endossait toutes les charges ; elle se soumettait aux exigences de la vie quotidienne, chez elle ou ailleurs, et prenait en charge son enfant. Tout en s’absorbant dans le travail, qu’il soit à la maison, aux champs… elle chantait – afin de se consoler – ce qui avait suscité chez son enfant une vigoureuse volonté de s’aventurer dans la chanson. Héritant le critère oral qui détermine la culture berbère, elle racontait à son fils, chaque soir, des contes kabyles desquels le futur chanteur acquiert un lexique d’une richesse «terrible».
Consciente de ce que vaut l’instruction, la mère de Lounès insistait pour que son fils fréquente l’école avant d’atteindre l’âge requis. Scolarisé en 1961 à l’école de son village, l’une des vieilles écoles de Kabylie, il passait plus de temps dans les champs à capturer les oiseaux que dans les salles de classe. D’absences répétées en retards systématiques, il finit par être renvoyé de tous les collèges de sa région. Ses seuls bons souvenirs d’école sont ceux des pères blancs -des missionnaires catholiques- dont l’enseignement dit-il lui a ouvert l’esprit, ne l’a pas dévoyé ou annexé. Il découvre l’histoire algérienne et celle des Amazigh, la résistance de Jugurtha contre les Romains, il apprend les principes élémentaires de la République, des notions aussi fondamentales que la démocratie et la laïcité.
Lounès et sa génération assistent, en 1963, au conflit qui oppose le régime de Ben Bella, président de l’Algérie indépendante, aux officiers de la wilaya III en Kabylie, avec à leur tête Hocine Aït Ahmed, président du FFS. Le conflit fait plus de 400 morts, près de 3 000 personnes sont arrêtées et des centaines de militants ou sympathisants sont torturés dans les commissariats. Après l’arrestation d’Aït ahmed, le président Ben Bella exulte : «Le traître Aït Ahmed vient d’être arrêté par l’armée nationale populaire,…. L’arrestation d’Aït Ahmed, c’est la joie qui pénètre dans tous les foyers d’Algérie». La stigmatisation des Kabyles et l’interdiction du berbère, sa langue maternelle provoquèrent en lui un rejet de la langue arabe.
La lecture d’auteurs comme Descartes, Zola, Hugo, le théâtre de Racine ou la poésie de Baudelaire et des auteurs Algériens comme Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun lui permirent de se forger intellectuellement, un élan stoppé alors qu’il était au lycée par la politique d’arabisation imposée du président Boumedienne. À neuf ans, il fabrique sa première guitare avec un vieux bidon d’huile de voiture un manche en bois et quelques fils à pêche, il n’a jamais appris la musique à l’école : «Je n’ai jamais étudié ni la musique, ni l’harmonie. … j’ai acquis cette oreille musicale en écoutant les anciens, en assistant aux veillées funèbres, là où les chants sont absolument superbes, de véritables chœurs liturgiques».
En 1972, son père rentre au pays après trente ans d’émigration en France et lui offre un mandole, acheté à Paris chez Paul Beuscher. Une année plus tard, au cours d’une partie de poker, il mise sur le mandole et perd sa mise. L’année suivante, il se débrouille pour s’acheter une guitare puis commence à animer régulièrement des fêtes. Durant l’année 1974, alors qu’il est interne au lycée de Bordj Menaïel, il est renvoyé à plusieurs reprises par le surveillant général pour cause de mauvaise conduite. Il blesse un jeune garçon à coup de rasoir à la suite d’une bagarre qui a éclaté dans un salon de coiffure. Interpellé par la gendarmerie, il devait être relâché le lendemain. Au tribunal, Lounès a osé demander au procureur une cigarette. Ce dernier abasourdi par un tel comportement décide de l’incarcérer. Lounès purge alors un mois de prison. À sa sortie, il fait un stage de mécanique générale à Alger, après avoir été reçu à l’examen final, il enchaîne avec six mois de formation en ajustage. En 1975, il est appelé sous les drapeaux. Il rejoint Oran pour passer ses deux années de service militaire, il y subit le racisme et la ségrégation, et pour oublier, il se réfugie dans la poésie, l’écriture et la composition de chansons : «C’était pour moi une façon d’échapper à tout ce qui m’entourait, à la mesquinerie ambiante et à l’étroitesse d’esprit de ceux qui me commandaient», écrit-il.
En 1978, il vient en France. Un soir, il anime une soirée dans un café où il gagne 4 000 F, ce qui l’encourage à monter à Paris. Il se produit dans les cafés très fréquentés par la communauté émigrée kabyle. Un ami lui présente l’artiste Kabyle Idir qui l’invite un jour à chanter en compagnie d’autres chanteurs au palais de la Mutualité lors d’un récital intitulé La nouvelle chanson berbère organisé par la coopérative Imedyazen en collaboration avec le groupe d’Étude berbère de l’Université de Vincennes. Au cours de ce concert, il fait la connaissance de Slimane Azem et Hnifa. Il réadapte même quelques-unes de leurs chansons. Il dira plus tard : «C’est au cours de ce concert que j’ai rencontré deux monuments de la chanson kabyle : Slimane Azem et H’nifa. Et je leur ai parlé ! J’étais aux anges». Le grand artiste Idir l’accompagne dans une maison d’édition pour faire son premier enregistrement. Premier disque, premier succès.
En avril 1980, Matoub Lounès se produit à l’Olympia. Ce concert le contraint à suivre les événements de loin par le biais de la presse, depuis la France. Il raconte : «Lorsque je suis entré sur la scène de l’Olympia, la guitare à la main, je portais un treillis militaire, une tenue de combat. Geste de solidarité envers la Kabylie, que j’estimais en guerre.» Il tente avec quelques militants kabyles, d’organiser une manifestation devant l’Ambassade d’Algérie en France à Paris. La manifestation fut interdite, Lounès s’est fait embarqué par la police en compagnie de ses camarades en se retrouvant entassé dans des cellules minuscules. Depuis, Lounès Matoub a toujours répondu favorablement lors des célébrations du printemps berbère où il a animé plusieurs galas dans les milieux universitaires, notamment durant la décennie 80-90.
En 1985 Hocine Aït Ahmed et Ben Bella se réconcilient – celui-là même qui l’avait condamné à mort en 1964 et responsable de l’impitoyable répression qui s’est abattue sur la population kabyle. Matoub qualifie cette initiative d’absurde et aberrante. En produisant un album «Les deux compères», pour exprimer son rejet à cette fallacieuse alliance. Suite à ça, le média français *Libération » le qualifie de fasciste !
Lounès voyait dans le Mouvement culturel berbère (MCB) un cadre rassembleur.
C’est ainsi, que le 25 janvier 1990, date d’une marche historique, il a été désigné pour remettre un rapport à l’APN (Assemblée Populaire Nationale). Matoub Lounès qui contestait le régime sous le règne de Boumediène, garda de similaires positions pour celui de Chadli qui maintenait son indifférence à la calamité succédant le 20 avril 1980. Il lui fait grief également, à lui et son gouvernement, d’être à l’origine de ce qui s’est passé le 5 octobre 1988. Le 9 octobre 1988, Matoub, en compagnie de deux étudiants, à bord de son véhicule, a pris la destination de Aïn El Hammam (ex-Michelet) venant de l’université de Tizi Ouzou pour distribuer un tract appelant la population à une grève générale de deux journées et au calme à la suite des manifestations d’Alger. Intercepté par des gendarmes qui le suivaient, l’un d’eux tire à bout portant sur Lounès après l’avoir insulté tout en passant les menottes aux deux étudiants. Lounès Matoub s’effondre ; il est atteint de cinq balles dont l’une lui traverse l’intestin et fait éclater le fémur droit. Il est ensuite évacué vers l’hôpital de Aïn El Hammam puis à l’hôpital de Tizi Ouzou. Ensuite, il est transféré à la clinique des orangers à Alger où il y est resté six mois avant d’être transféré en France pour des soins plus intensifs à l’hôpital Beaujon, le 29 mars 1989. Six semaines plus tard, il anime un gala au stade de Tizi-Ouzou devant une immense foule alors qu’il portait des béquilles. En dix-huit mois, il a subi quatorze opérations chirurgicales.
Au cours de son séjour à la Clinique des Orangers à Alger, l’artiste Française Isabelle Adjani lui rend visite. Deux ans plus tard il est poignardé par son voisin dans les locaux mêmes de la gendarmerie. Le 29 juin 1994, lors de la marche organisée à Alger pour exiger la vérité sur les circonstances de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, il se trouve aux côtés de Saïd Saadi et Khalida Toumi quand une bombe explose au niveau de l’hôpital Mustapha faisant deux morts et plusieurs blessés. Le 25 septembre 1994, à 21h environ, il est enlevé par un groupe armé qui le surprend dans un café-bar, pas loin de Tizi Ouzou. Son enlèvement bouleverse la Kabylie tout entière, qui se solidarise jusqu’à sa libération survenue le 10 octobre aux environs de 20h dans un café à Aït Yenni.
Durant ces seize jours de séquestration, il est condamné à mort par un tribunal islamique. Grâce à la mobilisation de la population, il retrouve les siens sain et sauf. Cet enlèvement suscite beaucoup de spéculations, à tel point que certains l’accusent d’avoir monté un scénario lui-même pour accroître sa notoriété et sa popularité. Malgré les «tortures» psychologiques endurées pendant sa séquestration et les menaces qui pesaient sur lui, il ne cesse de chanter et continue son combat pour la cause berbère, la démocratie et contre l’intégrisme islamiste. On l’a jugé pour ses chansons. Il raconte dans son livre «Rebelle» le procès de déroulant dans une forêt : « »C’est toi l’ennemi de Dieu. » Je n’ai pas répondu. Ensuite, il a passé en revue tous ce qu’ils avaient à me reprocher. J’ai compris à ce moment-là que mon « procès » se préparait. En tête des chefs d’accusation, évidemment, mes chansons. « C’est à cause de tes chansons que la Kabylie est en train de sombrer dans le néant, c’est toi le responsable. » Je n’avais donc d’autre choix que d’abandonner, je devais cesser de chanter. L’exemple, le modèle qu’ils me citaient sans cesse était celui de Cat Stevens, que tous appelaient de son nom musulman, Yusuf Islam. Ce très grand chanteur avait décidé du jour au lendemain de quitter sa vie passée pour embrasser l’Islam (….) Comment as-tu pu écrire sur ce chmata (Mohamed Boudiaf) cette saleté ? Tu ne sais pas qu’il a envoyé dix mille de nos frères dans le Sud algérien dans des camps de concentration ?». Et ils le comparèrent à Salman Rushdie.
On lui reprochait ses «blasphèmes» réitérés à l’encontre de l’Islam et du Coran. La chanson qu’il avait écrite après la mort de Boudiaf, «L’Hymne à Boudiaf», lui a valu une interpellation particulièrement vive. Il était aussi un fervent supporter de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) depuis longtemps. Il a d’ailleurs composé plusieurs chansons sur le club kabyle, bien que les dirigeants de la JSK n’étaient pas favorables à ce que ce club soit une tribune d’expression pour la revendication identitaire. Le jour de l’enlèvement de Lounès, un ami à lui tenta vainement de persuader les dirigeants de la JSK d’annuler la rencontre l’opposant à un club des Aurès (un autre club berbère). Il écrit dans son livre Rebelle : «(…) Ils ont souvent manqué de courage. La preuve : je leur avais demandé de sponsoriser le Mouvement culturel berbère lors d’un match important. (…) Leur refus a été catégorique, sous prétexte que le danger était trop grand. Le danger terroriste, bien sûr. Les dirigeants de la JSK à mon sens, ne sont pas réellement sensibles à la cause berbère».
Le 24 novembre 1994, il a été l’hôte du directeur de l’UNESCO, en présence de nombreux hommes des arts, des lettres et des journalistes lui rendant hommage pour son combat pour la démocratie. À l’issue de cette rencontre, il a remis à son hôte le coffret complet de son œuvre. Aussi, en guise de reconnaissance et de récompense pour son combat pour la démocratie, il reçoit le 6 décembre de la même année, le Prix de la Mémoire que lui décerne Danielle Mitterrand à l’amphithéâtre de l’université de la Sorbonne à Paris. Lounès devient le chanteur le plus médiatisé. Sa popularité ne cesse de prendre de l’ampleur. Sa carrière de chanteur s’approfondit considérablement en faisant dans l’innovation artistique. Ses dernières productions parlent d’elles-mêmes tant sur le plan musical qu’à travers les textes.
En dehors de la France où il se produit très souvent, Lounès Matoub a animé un gala le 16 janvier 1993 à Montréal, à l’occasion du nouvel an berbère, puis à New York le 20 janvier 1993 et en Californie le 13 mars de la même année. Le 28 janvier 1995, Matoub donne deux concerts dans la même journée au Zénith de Paris, un le matin et un le soir : une première dans l’histoire de la salle parisienne. Le 17 janvier 1998, Lounès Matoub se produit sur la scène du Zénith de Paris pour ce qui sera son dernier concert. Le concert complet est enregistré sous forme audio et sera commercialisé en 2004 sous le nom de «L’Adieu…».
Le 25 juin de la même année, revenant de Tizi Ouzou, afin de rentrer chez lui en compagnie de sa femme et ses belles sœurs, Lounès Matoub fut assassiné par un groupe armé qui l’attaqua en tirant sur son véhicule d’une rafale de balles de kalachnikov. Tel un coup de tonnerre, l’information jaillissait de partout la Kabylie. Une grande révolte des populations succéda à sa disparition. Bouleversé par les événements, attaché par fidélité à son combat et contraint de mener sa vie telle que voulue pour cause d’insécurité, telle était la situation dans laquelle s’était retrouvé Lounès Matoub. C’est son choix : «Moi j’ai fait un choix. Tahar Djaout avait dit : « il y a la famille qui avance et la famille qui recule ». J’ai investi mon combat aux côtés de celle qui avance. Je sais que je vais mourir. Dans un, deux mois, je ne sais pas. Si on m’assassine, qu’on me couvre du drapeau national et que les démocrates m’enterrent dans mon village natal Taourirt Moussa. Ce jour-là, j’entrerai définitivement dans l’éternité.»
De par ses textes, ses chansons, ses interventions… nul ne peut nier ni le talent de Lounès dans la chanson, ni son combat pour une Algérie debout, ni son militantisme zélé pour l’aboutissement de la revendication identitaire. Dans son dernier album, il reprend l’hymne national à sa manière, malgré les dangers auxquels il s’exposait : «Je sais que ça va me valoir des diatribes, voire un enfermement, mais je prends ce risque, après tout il faut avancer dans la démocratie et la liberté d’expression.» Il était aussi un fervent défenseur du système fédéral qu’il considérait comme solution à tous les maux de l’Algérie : «Le régionalisme est une réalité politique, il s’agit de l’assumer dans un système fédéral. L’histoire a façonné le peuple algérien suivant des composantes distinctes, qui expriment aujourd’hui des aspirations contradictoires. Il faut dédiaboliser cette notion de fédéralisme qui est une forme d’organisation très avancée. Régionaliser, c’est donner plus de pouvoir aux régions. C’est pour le bien de tout le pays. Plusieurs exemples dans le monde montre l’efficience de cette forme d’organisation».
Pour commémorer les dix ans d’assassinats du Rebelle, le maire de Paris, Bertrand Delanoë rendra un hommage particulier au chanteur Lounès Matoub en inaugurant la rue éponyme située à proximité du nouveau quartier Claude Bernard en pleine restructuration, dans le XIXè arrondissement de Paris le 3 Juillet 2008. Invité pour l’occasion, le consul d’Algérie à Paris à refusé de s’y rendre. Très attaché au personnage de Lounès Matoub et à la culture berbère, Maxime Le Forestier interviendra également lors de cette inauguration.
Par : Lila Mokri